[4ème de couverture] Le sens est partout, mais sa définition nulle part. On veut du sens pour son travail, dans ses relations, face au système. Mais au juste, que cherche-t-on en cherchant du sens ? Que cache ce Graal éternel, le sens de la vie, devenu tellement important qu’il semble avoir supplanté le bonheur ? Pour y répondre, cette enquête inédite montre comment le sens circule entre ce que nous sentons, ce que nous comprenons et ce que nous désirons. Or une mutation majeure a rompu l’équilibre entre ces trois pôles. Car dès que nous faisons le geste de consulter un écran, nous nous branchons au « surconscient » numérique qui bouleverse notre rapport au sens. De là, ce qu’il faut appeler les « digitoses » contemporaines : le burn-out, l’éco-anxiété, la rivalité avec l’intelligence artificielle et le triomphe des machinoïdes, ces humains qui se ressemblent à leurs outils. Dans ce monde vertigineux, les anciennes requêtes continuent cependant d’avoir cours. Un sens à la vie, c’est bien ce que l’on désire… Mais comment y parvenir ? Comment faire mûrir en soi cette quête, pour qu’elle triomphe des puissances qui la formatent ? Telle est la question de cette philosophie concrète qui fait du sens une véritable thérapie de civilisation.
[Argument] La recherche de sens est omniprésente. On l’entend partout pour caractériser des quêtes personnelles comme des enjeux professionnels. Mais que cache ce terme si général? Que dit-il de nos désirs profonds, lui qui a même supplanté le goût du bonheur? Car on veut du sens comme si c’était un Graal, autour duquel s’organise même une sorte de « meaningwashing ». Mais que cherche-t-on en cherchant du sens?
Dans son travail philosophique entamé il y a vingt-cinq ans et décliné dans une douzaine de livres publiés aux Puf, Pascal Chabot a toujours cherché à montrer comment une notion philosophique classique (le progrès, le travail, le temps, la qualité) se voyait transformée par les mutations contemporaines. C’est à une enquête de ce genre qu’il convie ici le lecteur, pour comprendre comment le sens est devenu le réceptacle de nos aspirations les plus hautes – et l’autre nom de nos problèmes.
L’auteur refuse de voir le sens comme une entité, une substance, ou un trésor qui reposerait quelque part, par exemple dans un grand Nom. Il n’y a pas de Sens, mais des circuits des sens : du sens qui circule, qui passe, se transmet, se transforme. Nos vies se déroulent dans des circuits de sens où se lient ce que nous sentons (le sens comme sensation), ce que nous comprenons (le sens comme signification) et ce que nous désirons (le sens comme orientation). Ordinairement, le passage se fait sans problème : il y a accord, alignement entre ces pôles. Mais à tout moment peut survenir une brisure, l’impression de ne pas être aligné, de vivre dans la contradiction. C’est la perte de sens, le conflit entre ce qui est senti et ce qui compris, ou entre ce que l’on sait et ce que l’on veut. Mais comment vivre ces conflits? Comment les surmonter?
Les circuits de sens analysés de manière originale par l’auteur sont de toutes les époques. L’alignement entre le senti, le compris et le désiré sont au cœur de l’expérience humaine. Mais une mutation profonde marque ce début de XXIème siècle, une mutation qui concerne le sens lui-même (et c’est pourquoi sa quête est omniprésente). Cette mutation se comprend ainsi : nos circuits de sens sont de moins en moins branchés à nos inconscients, mais de plus en plus branchés à ce que Chabot appelle le « surconscient » numérique. Dès que l’on fait le geste de consulter un écran, on est happé dans le surconscient. Ce n’est plus le « ça » de la psychanalyse », mais le « là » où sont toutes les informations et interactions. Ce surconscient enrichit nos circuits de sens. Mais il les déstabilise aussi, au point qu’il génère de nouveaux conflits. En usant d’un autre néologisme (ce qui est nécessaire, car ces configurations sont nouvelles), Chabot les nomme des « digitoses ». Si les névroses et les psychoses désignent des conflits entre le conscient et l’inconscient, les digitoses sont des conflits entre le conscient et le surconscient. Ainsi, comme exemple de digitoses : le burn-out, l’éco-anxiété, la rivalité entre intelligence humaine et intelligence artificielle, les machinoïdes (ces humains qui ressemblent à leurs outils) ou la polarisation de l’opinion… Chaque fois, les circuits de sens classiques sont perturbés par leur branchement au surconscient dont ils ne parviennent pas à intégrer la nouveauté. Bien des pertes de sens contemporaines s’expliquent ainsi.
Or comment retrouver du sens? Qu’est-ce qui est essentiel aujourd’hui, et d’autant plus désirable que la complexité est irréductible? Dans son enquête, Pascal Chabot approche trois pôles essentiels qui sont comme des aimants dans nos circuits de sens : la passion-raison (c’est-à-dire l’accord entre nos passions et nos raisons, car les meilleurs moments d’une vie sont toujours des conciliations entre ces deux dimensions), la qualité (qui pousse à œuvrer à un monde de qualité, cherchant à endiguer le « merdique » produit aujourd’hui en grande quantité), et enfin l’universel-singulier (c’est-à-dire ce qui, dans l’expérience artistique, culturelle, naturelle ou amoureuse, nous connecte à l’universel à partir de la contemplation du singulier). Ces figures de l’essentiels sont indispensables à nos circuits de sens, en lesquels ils peuvent provoquer d’intéressantes métamorphoses.
Dialoguant autant avec les philosophes de la tradition qu’avec certaines grandes figures de la recherche de sens (Camus, Tostoï, Frankl…), servi par une écriture qui décrit aussi bien nos relations à l’amour et à la mort, qu’aux dictionnaires, aux arbres et au besoin d’ailleurs, l’auteur propose une vision de ce qui importe : ouvrir les circuits de sens plutôt que de s’abîmer dans la nostalgie du sens perdu ou le conformisme du sens unique.