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Rawètes

Version livre-outil (description) – La structure. C’est un kit de survie qui vous était annoncé et c’est une boîte à outils didactique que vous avez en main. Pour chacun des sept thèmes de travail, le dispositif est identique : La fiche pédagogique : chaque fiche pédagogique offre la même structure : brève description du sujet exploré, intérêt de le travailler, objectifs des exercices, méthode employée, mots-clefs, pistes pour ceux qui veulent approfondir le thème. Dans le cadre d’animations de groupe ou d’accompagnement personnel (coaching), l’accord sur la fiche pédagogique est un prérequis à toute activité. | Le conte : Voltaire ou La Fontaine*** | L’essai : dans un manuel qui dénonce le diktat des idées et des dogmes qui nous inhibent au quotidien, il est impératif de commencer par fixer le vocabulaire conceptuel sur lequel la méthode va s’appuyer. Exemples variés et citations de penseurs éclairants émargent l’exposé et chacun devrait, après lecture, y trouver matière à entreprendre les exercices personnels en toute connaissance de cause. | La galerie : pour ceux d’entre nous qui voient avant de comprendre et qui comprennent mieux quand ils ont vu, une galerie d’illustrations, de schémas et de reproductions d’œuvres issues des arts visuels devrait assurer la transmission “non-verbale” des notions et des questions qui fondent le texte. Merci les illustrateurs ! | L’anthologie : la fiction est souvent la meilleure école de Vie : nous ne pouvons tout expérimenter nous-même et il nous arrive d’être distraits quand se présentent à nous des phénomènes qui en disent long sur notre existence. Merci les créateurs ! | Les exercices de développement personnel : sujet polémique s’il en est : pour les uns, farce grotesque ; pour les autres, bouée de sauvetage, le développement personnel est devenu une industrie juteuse pour les éditeurs, les donneurs de leçon, les coaches d’un week-end et les chamanes de salon. Notre époque d’apparences où la représentation prime sur la réalité à vivre (notre Monde du spectacle, dirait Debord), n’ose plus parler ouvertement de philosophie, de saine introspection ou de bon sens : ce n’est pas assez vendeur. Le développement personnel n’est-il pas devenu un rayon à part entière dans toutes les grandes librairies ? Je compatis d’ailleurs au désarroi des libraires qui doivent décider de la tête de gondole où ils devront exposer ce livre. Développement personnel, Philosophie, Esotérisme, Psychologie, Sciences humaines ou Matériel scolaire, puisqu’aussi bien, il propose des exercices pratiques à faire au terme de chaque chapitre ?]

1.Z. Matière première

[moi sublime, icare et prométhée, dévoiement de la loi d’harmonie, vanité et loyauté, fausse motivation – La satisfaction – La « Corderie Malaise »… alla Simenon – aliénation – assainir l’introspection morbide – ne pas croire tout ce que l’on pense, c’est une chose, mais peut-on penser contre-nature ? oui, les représentations des phénomènes peuvent être faussées… | « Le bonheur ne s’obtient pas par la poursuite consciente du bonheur ; il est généralement le sous-produit d’autres activités. Ce « paradoxe hédoniste » peut être généralisé pour s’étendre à notre vie entière dans le temps. » in Les portes de la perception de Aldous Huxley | la raison est d’abord une punition > adam | la raison est une impuissance > lao-tseu | idem avec les autres salopards, pourquoi salopards ? parce que questionné le dogme et réussi à offrir/proposer un autre cheminement… | Malgré la promesse de soulagement, l’aliénation est une contraction, un resserrement, une crispation aveuglante qui empêche la Vie d’apporter la régulation et le souffle qui rendent la souffrance supportable. | Donc, si l’on suit Paul Diel dans son travail sur la motivation, l’insatisfaction serait le parfum pas toujours subtil qui nous permet d’entrevoir que l’image que nous avons de nous-mêmes ne correspond pas à notre activité effective. Cet écart, il le baptise « la vanité », dans le sens de « ce qui est vain » : le pauvre homme était viennois (ce qui est peu original quand on fait de la psychologie des profondeurs) et c’est avec une rigueur toute germanique qu’il est passé de « vain » (équivalent de « chimérique », « illusoire ») à « vanité » pour désigner la qualité de ce qui est vain, oubliant en cela l’usage plus fréquent de « vanité », mot assimilé à « orgueil ». Nous aurions préféré « aliénation ».]

2.Z. Matière première

[fonctionnalité langage | fonctionnalité symbolique ? | désir premier : lien à la vie > échelle de valeur – 2.3. Le recâblage – 2.4. La sauvagerie | Les idées appuient sur la gâchette, mais l’instinct charge le pistolet. Don Marquis
2.5. Le libre-arbitre – interagir avec le monde, physiologie, cerveau, neurosciences, me pérenniser] – Obnubilé par la nécessité de nous maintenir en vie, notre cerveau est le seul intermédiaire concret avec notre milieu. Sans chaque fois nous en faire rapport, il régente notre être-au-monde (Heidegger). Les récentes découvertes des neurosciences mettent d’ailleurs en évidence le rôle central de notre cerveau, quand nous voulons répondre à ces questions : quand mon cerveau a-t-il le sentiment que mon corps est à sa place ? A-t-il toujours raison ? Flanqué de nos cinq (ou six) systèmes sensoriels, équipé des organes et des dispositifs qui nous permettent d’agir sur le monde, notre cerveau est la seule et unique passerelle dont nous disposions pour accéder aux phénomènes, extérieurs comme intérieurs, par lesquels la Vie se manifeste à nous. Les développements récents des neurosciences décoiffent d’ailleurs beaucoup de nos certitudes et d’aucuns placent aujourd’hui notre système neurologique au cœur même de phénomènes attribués jusqu’ici à notre raison ou à nos passions. Identifier la contribution de nos influx nerveux -ou des hormones qui les traduisent à travers tout notre corps- devient aujourd’hui impératif, pour qui veut comprendre pourquoi raison garder est désormais un sport extrême. planche – Cerveau ou cerveaux ? – Cerveau d’aujourd’hui et tradition – Ne pas confondre : cerveau et animalité ? – Le mystère se passe de commentaires – utilisation de l’hypnose pour recâbler le cerveau…

Pour le garçon, le vrai monde c’était un espace de liberté calme et ouvert, avant qu’il apprenne à l’appeler prévisible et reconnaissable. Pour lui, c’était oublier écoles, règles, distractions et être capable de se concentrer, d’apprendre et de voir. Dire qu’il l’aimait, c’était alors un mot qui le dépassait, mais il finit par en éprouver la sensation. C’était ouvrir les yeux sur un petit matin brumeux d’été pour voir le soleil comme une tache orange pâle au-dessus de la dentelure des arbres et avoir le goût d’une pluie imminente dans la bouche, sentir l’odeur du Camp Coffee, des cordes, de la poudre et des chevaux. C’était sentir la terre sous son dos quand il dormait et cette chaleureuse promesse humide qui s’élevait de tout. C’était sentir tes poils se hérisser lentement à l’arrière de ton cou quand un ours se trouvait à quelques mètres dans les bois et avoir un nœud dans la gorge quand un aigle fusait soudain d’un arbre. C’était aussi la sensation de l’eau qui jaillit d’une source de montagne. Aspergée sur ton visage comme un éclair glacé. Le vieil homme lui avait fait découvrir tout cela.

[WAGAMESE 2014]

Cependant, il existait en ce monde un tas de choses dont le sens échappait à Nakata. Aussi cessa-t-il de penser. Tout ce qu’il pouvait gagner à trop réfléchir, avec un cerveau comme le sien, c’était une migraine. Il finit de boire son thé, referma soigneusement la bouteille Thermos et la rangea dans son sac.

MURAKAMI Haruki, Kafka sur le rivage (2003)

ajuster ses affects, psyché, psychologie, me positionner] – A la recherche d’un équilibre, nous pensons continuellement notre existence, parmi les autres comme face à nous-mêmes, et, dans notre théâtre personnel, nous nous vivons comme les héros d’un mythe qui serait notre vie : quand ma conscience me renvoie-t-elle le sentiment que ma personne est à sa place ? A-t-elle toujours raison ? C’est la vedette incontestée de la pensée humaine depuis des millénaires : la conscience, l’âme, le soi, l’ego qui oscille entre la matière grouillante et l’esprit structurant, entre Hera et Zeus, entre les désordres de la chair et la pureté des Idées, entre les pulsions tectoniques du Ça et les impératifs du Surmoi, entre Enfer et Ciel, entre Vanité triomphante et brûlures de la Culpabilité… Cette brave conscience de soi a été trop longtemps au centre des débats spirituels comme philosophiques. Les temps changent et, après les quelques coups de boutoir assénés par la philosophie contemporaine (exit la conscience autonome, enter l’être-au-monde, le Dasein), les neurosciences -encore- proposent un nouveau modèle : la conscience de soi n’est pas l’expression de notre individualité, elle serait un artefact, une sorte d’hologramme, fabriqué par nos circuits cérébraux pour nous donner l’illusion de notre personnalité individuelle et, partant, nous inviter à rester en vie. En bref, notre cerveau nous dit : « si, si, tu es une personne qui réfléchit, qui a une psyché compliquée et, donc, tu dois bien faire attention à toi… »]

3.Z. Matière première

[imaginer le monde, idées, discours, vérités, dogmes – A chacun sa vision du monde, choisie parmi les discours qui nous sont proposés en continu -bon gré, mal gré- par les autres, par notre culture, notre histoire familiale et nos autofictions : ma vision personnelle me renvoie-t-elle l’idée que je suis en adéquation avec ma vérité intime et que celle-ci est saine ? A-t-elle raison ?]

C’est le philosophe Ernst Cassirer qui a consacré ses recherches à notre formidable faculté de créer des formes symboliques : le Bien, le Mal, Dieu, le Beau, le Vrai, le Juste, le Grand Architecte, le Carré de l’hypoténuse, Du-beau-du-bon-Dubonnet, la Théorie des cordes, Demain j’enlève le bas, Le Chinois est petit et fourbe, This parrot is dead, la Force tranquille, Superman, le Grand remplacement, Je ne sais pas chanter… Autant de discours qui ne relèvent ni de notre physiologie, ni de notre psychologie ; autant de convictions, de systèmes de pensée, de vérités qui prêtent au débat, faute de pouvoir constituer une explication exclusive et finale du monde qui nous entoure. S’il y en avait une, ça se saurait, insiste par ailleurs Edgard Morin…

Mais Cassirer ne s’est pas arrêté à un émerveillement bien naturel face à une faculté si généreusement et équitablement distribuée à l’ensemble des êtres humains. Il a également averti ses lecteurs d’un danger inhérent à cette faculté : la forme symbolique, l’idée, le discours, a la fâcheuse tendance à être totalitaire. En d’autres termes, chacun d’entre nous, lorsqu’il découvre une vérité qui lui convient (ce que l’on appelle une vérité, donc) s’efforce de l’étendre à la totalité de sa compréhension du monde, voire à l’imposer à son entourage. Que celui qui n’a jamais élevé un adolescent…

[Comment identifier les dogmes et les discours qui entravent notre liberté de penser ? Comment rendre à chacune de nos idées sa juste place, celle d’une « opportunité de pensée » ? Comment ne pas les travestir en vérités auxquelles se conformer ? Quelle drôle d’idée (types de formes symboliques) | L’idée totalitaire : Le bien et le mal ne sont que la matière dont est faite la beauté, c’est à dire ce que nous aimons sans raison, sans profit, sans nécessité. Tolstoï]

[ …] aussi loin que l’on remonte dans le temps, aussi profond que l’on s’enfonce dans la jungle ou le désert, on ne trouve aucune trace d’un groupement humain ayant vécu ou vivant dans la seule « réalité », la constatant et la commentant, sans (se) raconter d’histoire à son sujet.

[…] La science nous montre que, derrière les faits, il y a non une raison mais une cause. Cela change tout.

[…] La science ne produit pas de Sens, seulement des corrélations,  indépendantes de nous. Or nous restons fragiles et le monde reste menaçant. Aucune découverte scientifique ne peut nous rendre immortels, ni même éliminer de notre existence conflits et douleurs.
On ne s’exclame plus, quand survient une éclipse de la Lune : La fin du monde approche ! Mais l’explication rationnelle de l’éclipse de la Lune – ou des maladies, ou de la foudre, etc. – n’entame en rien notre besoin de chercher et de trouver du Sens dans notre vie.
De nos jours encore, bien sûr, les religions remplissent très largement cette fonction. Mais, en plus de ces grands récits traditionnels pourvoyeurs de Sens, l’on assiste depuis deux siècles à une prolifération sans précédent de récits profanes, véhiculés par toutes sortes de médias (romans, pièces de théâtre, cinéma, télévision, jeux vidéo, Internet. .. ).
Du coup, chaque individu du monde moderne (qui n’est pas le monde entier) a sa petite tête à soi, avec ses propres associations, sa propre manière de combiner les fictions pour se tenir compagnie.

Nancy Huston, L’espèce fabulatrice (2008)

Quels que soient les jeux de mots et les acrobaties de la logique, comprendre c’est avant tout unifier. Le désir profond de l’esprit même dans ses  démarches les plus évoluées rejoint le sentiment inconscient de l’homme devant son univers : il est exigence de familiarité, appétit de clarté. Comprendre le monde pour un homme, c’est le réduire à l’humain, le marquer de son sceau. L’univers du chat n’est pas l’univers du fourmilier. Le truisme « Toute pensée est anthropomorphique » n’a pas d’autre sens. De même l’esprit qui cherche à comprendre la réalité ne peut s’estimer satisfait que s’il la réduit en termes de pensée. Si l’homme reconnaissait que l’univers lui aussi peut aimer et souffrir, il serait réconcilié. Si la pensée découvrait dans les miroirs changeants des phénomènes, des relations éternelles qui les puissent résumer et se résumer elles-mêmes en un principe unique, on pourrait parler d’un bonheur de l’esprit dont le mythe des bienheureux ne serait qu’une ridicule contrefaçon. Cette nostalgie d’unité, cet appétit d’absolu illustre le mouvement essentiel du drame humain.

Albert Camus, Le mythe de Sisyphe (1942)

Lorsque l’âme souhaite connaître quelque chose, elle projette devant elle  une image et la pénètre.

Maître Eckhart (XIIIe)

Le choc avait été grand et, face à ses pairs, Galilée a dû sentir le malaise qu’il avait créé en montrant que c’était le soleil qui était au centre de notre système planétaire et non la terre : finie la possibilité d’une Création faite pour l’Homme sur sa planète qui aurait trôné au centre du monde connu. Dès 1616, un pape romain a d’ailleurs veillé à bien interdire les travaux de l’astronome polonais.

Prenons le discours sur la ‘famille’. Nos amis anthropologues vont nous expliquer, chacun selon son école, que l’idée de famille est un ciment social sans lequel notre vivre-ensemble serait impossible de manière organisée. Sont-ils marxistes ou apparentés qu’ils vont détailler avec force exemples toutes les manières dont la famille est un vecteur qui permet la transmission du pouvoir de classe et son nécessaire respect ; sont-ils croyants qu’ils vont donner au patriarche (ou à la matriarche, dans certaines variantes) le rôle d’avatar de la divinité au sein de la cellule familiale, avatar dont le rôle est la transmission des valeurs héritées d’en-haut ; vivent-ils dans les milieux de la haute-bourgeoisie, où la famille est le fondement de la survie économique, qu’ils vont donner les meilleures motivations à la collocation de Camille Claudel ou à l’envoi du Frère Machin dans une communauté de Pères Blancs au Congo ; sont-ils assis à côté d’un divan en toussotant qu’ils vont vous annoncer des envies illicites envers votre chère maman et des pulsions meurtrières envers votre cher papa ; aiment-ils l’exotisme qu’ils vont montrer la richesse des familles éclatées au sein de communautés tribales, où l’entraide et le sens de la collectivité primeront dans l’éducation des petits…

D’autre part, ont-ils été victimes de harcèlement moral ou d’abus sexuel qu’ils vont, à l’inverse, pointer du doigt le milieu fermé de la cellule familiale et combattre urbi et orbi le régime d’impunité parentale, soi-disant garant de la cohésion d’un microcosme qui, pourtant, devrait être plus ouvert sur la société extérieure et ses règles de vivre-ensemble.

Les variations sont multiples, toujours fondées, toujours documentées, toujours enrichies d’anecdotes ou assorties de mises en garde. Or, si tout le monde a raison, personne n’a raison… dans le cas où l’on aime les vérités qui s’excluent mutuellement.

La raison rayonne peut-être ailleurs. Il est bien entendu intéressant de passer en revue les différentes lectures de ce modèle de la famille, de ce conglomérat de personnes liées par un contrat que l’on voudrait signé dans le sang et les gènes – ce qui est loin d’être le cas – et de faire de chaque configuration un objet de réflexion : tiens, c’est vrai, comment vivrais-je (ai-je vécu) ce modèle-là, quelle est mon expérience de la chose et, avant tout, quels actes ai-je posés pour me positionner face à ce scénario, qu’il s’assimile à une ridicule pièce de boulevard ou à un final horrifique de Grand Guignol ?

Nous ne sommes pas en train de tenir une réunion des Alcooliques Anonymes mais je serais curieux d’entendre les témoignages de tous ceux qui ont hésité à divorcer sous prétexte qu’ils allaient priver leurs enfants de la réunion familiale au pied du sapin de Noël. Si la famille était un modèle de bonheur, ça se saurait. Faisons le test :

      1. citez-moi une seule famille dans votre entourage qui représente à vos yeux ET dans la réalité de chacun de ses membres un exemple de bonheur collectif sans ombre (un modèle pour vous, donc) ;
      2. faites le compte de vos amies et de vos amis qui, nonobstant toute l’affection qu’il/elle peuvent avoir pour d’autres membres de leur parentèle, ont quand même été victimes de harcèlement moral ou d’abus sexuel dans le cercle familial.

N’êtes vous pas sincèrement incapable de donner un nom en réponse à la première question et n’êtes-vous pas, au mieux, dans les nombres à deux chiffres pour répondre à la seconde ? « C’est à désespérer de la famille« , me direz-vous, avant de sauter par la fenêtre. Ici encore, raison garder, c’est mieux regarder.

Notre vieux réflexe platonicien – se conformer à l’Idée – qui monte en épingle le concept de famille dans toutes ses représentations (et avec toutes les contraintes apparentées : c’est le cas de le dire) est peut-être la source de nos maux intimes dans ce domaine. Si la famille est une valeur, gravée dans le marbre quelque part sur l’Olympe, c’est démériter que de ne pas s’y conformer, de ne pas adopter ses rituels ou d’affirmer son individualité face à la cohésion du groupe. Et la tribu de regarder sombrement le vilain petit canard, et le Commandeur de pointer un doigt vengeur vers l’arrogant libertaire, et la Matriarche de jeter l’opprobre sur l’infante souillée, en crachant dans le feu au-dessus duquel cuit la soupe de toute la maisonnée… L’imagier est riche pour ceux qui veulent se faire souffrir… en imagination.

Si l’on choisit l’option « j’enlève-les-écailles-de-mes-yeux-et-je-regarde-avant-de-réfléchir », le modèle familial peut être vécu d’une toute autre manière, moins contraignante, moins aveuglante. Les préjugés, les dogmes, les modèles, c’est Cassirer qui insiste, ont ceci de toxique qu’ils ont la fâcheuse tendance à se muer en pensées totalitaires : quoi de plus occultant qu’une idée fixe, a fortiori quand votre entourage considère – comme vous, peut-être – qu’il s’agit d’une vérité.

Dans notre exemple : dans un échange familial, personne ne voudrait détruire l’imagerie du sapin de Noël, si elle est au service d’une satisfaction partagée entre, d’une part, celui ou celle qui évoque l’image d’une table généreuse, d’une dinde fumante (sorry, les véganes), d’enfants réunis autour d’un ancêtre qui raconte des contes, et, d’autre part, celui ou celle à qui l’autre adresse la représentation, dans le seul but de partager un chaud sentiment d’appartenance.

Autre chose serait le rappel vindicatif de l’obligation d’organiser Noël à la bonne date, avec les bons invités, sans les mauvais invités (dont le petit ami mal coiffé de la petite dernière), avec le menu traditionnel, avec un plan de table figé depuis des générations et – cerise sur la bûche – avec la messe de minuit ânonnée par un prêtre germanophone ; hors de quoi, point de salut, hors de quoi, le déshonneur, la trahison des Nouveaux, l’irrespect envers les Anciens, hors de quoi, le divorce imminent, l’accident cardiaque de la grand’mère frustrée de sa fête tribale et les enfants drogués, addictifs et perpétuellement avec des cheveux gras, par manque de sens familial…

Or, la famille pourrait être conçue, plus simplement, comme un excellent camp d’entrainement pour la vie, la première épreuve, le premier rite de passage dont la seule finalité (dans une mise en scène très élaborée, certes) est de tester concrètement notre capacité à survivre ensuite dans un monde pas nécessairement très folichon : violence dans les rapports humains, exclusion entre communautés, problèmes identitaires, harcèlements moraux et sexuels, mensonges et trahison des proches, vanités triomphantes et désespoirs théâtraux, manipulation et emprise, autant de composantes de la vie avec l’Autre dont la famille n’est que le catalogue de poche. Que celui qui n’a aucun exemple de ce qui précède dans sa propre tribu me jette la première pierre !

Et puis, comment pourrait-il en être autrement ? Pour une famille de quinze personnes, vous mettez dans le même aquarium pendant cinquante ans au moins : un père déficient, une mère agressive, un tonton peloteur, un frère boutonneux, une sœur hystérique, un cousin pervers, un autre cousin facho, une cousine anorexique, une grand’mère collabo, un grand’père amateur de petites filles, un autre tonton (le militaire) violent avec sa femme, sans parler des différentes « pièces rapportées »… à quoi s’ajoutent vos propres frustrations, les passages difficiles entre vos différents âges, vos complexes, votre problème de couple et votre acné. Bonjour, le potage ! Après ça, on s’étonnera que la vente d’armes soit fortement réglementée (du moins dans les pays civilisés). Moralité : quand il s’agit de la famille, l’important c’est d’y survivre.

Dès lors, pour ceux qui se sont promis de devenir des humains et de vivre dignement avec d’autres humains, comme avec soi-même, il importe de pratiquer une pensée libérée, salvatrice, devant le dogme familial. Qui plus est, les fictions et les dogmes qui nous servent d’œillères, dans ce cas comme dans d’autres, ne sont pas toujours le fait de « la société » ou de notre entourage : nous sommes assez grands pour générer des autofictions, des discours qui justifient nos imperfections ou qui perpétuent des scénarios de défense au-delà du nécessaire.

Face à l’exercice imposé de la vie familiale, le travail se fait donc en trois temps : d’abord, identifier les modèles auxquels on accorde crédit dans sa délibération, ensuite, les tester comme n’importe quel autre objet de pensée (qui me propose le modèle ? quels exemples crédibles dans mon entourage ? à qui profite le crime ? quel est le coût pour moi, en termes d’intégrité, si je respecte ce modèle ? quel est le coût réel pour moi si je ne respecte pas ce modèle ? est-ce une question qui vaut vraiment toute cette réflexion… ?) et, enfin, vivre effectivement la famille (en y adhérant en personne ou en s’éloignant physiquement) dans la dignité et la raison.

Mais, me direz-vous, la formule ‘dans la dignité et la raison’ n’est-elle pas la petite sœur du ‘Sapin de Noël’ : un discours, dans la lignée des pires apophtegmes, qui sonne bien et auquel tout le monde adhère par complaisance, sans vraiment y réfléchir ?

Bien au contraire, vous répondrai-je : le ‘travail de raison’ qui veut que chacun regarde d’abord la représentation de la famille et s’interroge sobrement sur les motivations qui sous-tendent la mythologie de sa tribu personnelle. Ce travail n’est pas léger et il exige une introspection assainie : les ‘écailles’ à retirer des yeux dans ce cas sont peut-être les mieux serties.

Quelles que soient les conclusions de ce premier nettoyage de Printemps, le ‘travail de dignité’ qui s’impose ensuite, veut que chacun vive l’expérience de la cellule familiale avec la nécessaire assertivité. Levez la main droite et dites : « de servitudes, je n’accepterai que celles qui me procurent une réelle satisfaction, celles dont l’expérience se traduit en moi par la Joie d’être plus proche de la Vie, parmi les humains en général, au-delà du cercle familial. » Bref, le contraire de la gueule de bois qui suit souvent la veillée de Noël.

4.Z. Matière première

[Les langues du corps / Le récit mythique / Le discours logique / La langue comme indice / Traduire pour soi]

[discours, hormones, dénoter – Pour chacun des trois niveaux de notre ego (la physiologie, la psychologie et les idées), quel est le langage le plus pertinent ? Comment l’identification du langage employé pour délibérer « dans ma tête » me permet-elle de dépister les éventuels dérapages (ex. quand je tiens un discours moral pour justifier un afflux hormonal…) ? Me permet-elle de débusquer ce qui me motive réellement dans mes décisions ? Comment des techniques comme l’hypnose peuvent-elles affecter les formulations par lesquelles je dénote mes réalités ? | dégradation du mental de Granny : les formules continuent malgré la perte de sens… | La parole est rare : RECITER : complaisance, conformité, verbale et non-verbale ; | EXPRIMER : coopération (Sennett), expérience, verbale > curseur sur raison vs. Émotions/passions]

5.Z. Matière première

[Bien faire la différence : les officiels sont forts de leur statut (ex. fac de médecine sur la question des vaccins) mais monsieur-tout-le-monde n’est pas toujours au café-du-commerce : les lanceurs d’alerte, les photographes du Printemps arabe, ceux qui dénoncent de manière fondée le mainstream sans être complotistes… En même temps, les autorisés peuvent lancer des canulars comme le brillant reportage infox sur la fin de la Belgique à la RTBF !]

6.Z. Matière première

Les lumières sont ce qui fait sortir l’homme de la minorité qu’il doit s’imputer à lui-même. La minorité consiste dans l’incapacité où il est de se servir de son intelligence sans être dirigé par autrui. Il doit s’imputer à lui-même cette minorité, quand elle n’a pas pour cause le manque d’intelligence, mais l’absence de la résolution et du courage nécessaires pour user de son esprit sans être guidé par un autre. Sapere aude, aie le courage de te servir de ta propre intelligence ! voilà donc la devise des lumières.

La paresse et la lâcheté sont les causes qui font qu’une si grande partie des hommes, après avoir été depuis longtemps affranchis par la nature de toute direction étrangère (naturaliter majorennes), restent volontiers mineurs toute leur vie, et qu’il est si facile aux autres de s’ériger en tuteurs. Il est si commode d’être mineur ! J’ai un livre qui a de l’esprit pour moi, un directeur qui a de la conscience pour moi, un médecin qui juge pour moi du régime qui me convient, etc. ; pourquoi me donnerais-je de la peine ? Je n’ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront pour moi de cette ennuyeuse occupation. Que la plus grande partie des hommes (et avec eux le beau sexe tout entier) tiennent pour difficile, même pour très dangereux, le passage de la minorité à la majorité ; c’est à quoi visent avant tout ces tuteurs qui se sont chargés avec tant de bonté de la haute surveillance de leurs semblables. […]

Il est donc difficile pour chaque individu en particulier de travailler à sortir de la minorité qui lui est presque devenue une seconde nature. Il en est même arrivé à l’aimer, et provisoirement il est tout à fait incapable de se servir de sa propre intelligence, parce qu’on ne lui permet jamais d’en faire l’essai.

Kant : Qu’est-ce que les Lumières ? (1784)

[Sapere aude – L’américain JIM HARRISON dans Retour à la terre (2007) : Un politicien local, qui refusait que l’enseignement des langues étrangères soit inscrit dans le budget d’une école, a déclaré : « Si l’anglais a suffi à Jésus-Christ, il devrait suffire à nos gosses. » > médiocrité > La folie de Nietzsche…]

[Amor fati / Vérité, ô ma prison… / Conforme, tu seras / Le vertige, tu auras]

[conformité, sapere aude, Kant, dogme, mise en conformité, libre arbitre] – Quand nous essayons d’évaluer si nous sommes à notre place dans notre vie, le piège est, en fait, de plutôt vérifier si nous sommes conformes à des modèles préétablis, prétendument essentiels. Comment être conscient de ma tendance (utile par ailleurs) à modéliser le monde et à me conformer à des représentations qui ne tombent peut-être pas juste avec ma réalité ?

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :

Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.

Arthur Rimbaud, Sensation (1870)

[amor fati, Nietzsche, samouraï, Montaigne] – Comment, à l’inverse, nous tenir prêts et aimer ce qui nous arrive (ce que l’on appelle communément la Vie) ? Devons-nous être existentialistes ? Comment être adapté a priori à l’expérience de mon existence réelle ? | J’ai fait un rêve : nos ancêtres oubliaient pour un instant des mots comme travail, famille, patrie… et pensaient à la guerre en termes de chairs brûlées, de solitude et de peur. Quelle drôle d’idée, me direz-vous, mais la guerre n’est-elle pas la pire faute de goût ? | performance vs. expérience]

7.Z. Matière première

How dull it is to pause, to make an end,
To rust unburnish’d, not to shine in use!
As tho’ to breathe were life!

Alfred Tennyson, Ulysses

[7.3. Jongler utile | 7.4. La Joie de jongler | 7.5. Jongler demain… | [dynamique, puissance, lucidité | Le travail préconisé sert d’entraînement à une vie puissante et dynamique, une Grande Santé nietzschéenne. En élucidant nos motivations, nous pouvons nous approprier -aux trois niveaux de notre délibération (cerveau, psyché, idées)- une vision moins truquée de notre monde, des mondes de chacun de nos frères humains et veiller à nous construire un sentiment d’être à notre place, sans œillères. En d’autres termes : puissants, libres et… satisfaits ! | Ici pas de type de profils essentialisés comme dans le développement personnel > on n’est pas le lascif, le dynamique, le bleu, le carré, le Maître des lieux ou Godzilla, on se mesure (ou pas) au degré d’adhésion à sa propre vie et la trame de lecture diélienne ne sert qu’à dépister le hors-piste : j’adhère à mon expérience de vie, activement et avec satisfaction ou je ressens un malaise que je suis amené à décrypter pour retrouver ma joie de vivre… | Pas de profil mais un modèle symbolique, le jongleur. Symbole ou métaphore | Chapelet 3.0, une méthode d’initiation à rebours ; Chapelet vs. Catéchisme, Komboloï | Un sens critique à deux faces, Un bon conducteur… | Notre bel et grand chef-d’œuvre, c’est vivre à propos. Montaigne, De l’expérience (Essais, III, 13)]

Notes

    1. Interview d’Axel Kahn du 23 juin 2021 pour La grande librairie de François Busnel. [Retour]
    2. Memento Mori en français : Souviens-toi que tu vas mourir. Dans la Rome antique, la formule était répétée à l’oreille des généraux victorieux pendant la cérémonie de leur triomphe. [Retour]

 

Ressources

Bibliographie raisonnée

Cette bibliographie raisonnée permettra à chacun de prolonger sa lecture par d’autres lectures enrichissantes, ici classées par disciplines ou catégories de wallonica.org.

Artefacts – Littérature

    1. ATWOOD Margaret, La servante écarlate (1985, Robert Laffont, Pavillons Poche, 2021)
      code [ATWOD01]
    2. AUSTER Paul, Mr Vertigo (1994, Actes Sud, Babel, 2019)
      code [AUSTR01]
    3. BENOIT Pierre, L’Atlantide (1919, Librairie Générale Française, 1973)
      code [PBNOI01]
    4. DILLARD Annie, Pèlerinage à Tinker Creek (1974, Christian Bourgois, 2022)
      code [DILRD01]
    5. FISHER Robert, Le chevalier à l’armure rouillée (1987, Ambre, 2010)
      code [FISHR01]
    6. HARRISON Jim, De Marquette à Vera Cruz (10-18, 2004)
      code [HRSON01]
    7. HARRISON Jim, Retour en terre (10-18, 2009)
      code [HRSON02]
    8. MURAKAMI Haruki, Kafka sur le rivage (10-18, 2003)
      code [MURKM01]
    9. PROUST Marcel, A la recherche du temps perdu – 1. Du côté de chez Swann – Première partie : Combray (1913, Gallimard, 2022)
      code [Proust, 1913]
    10. code [RILKE01]
    11. RILKE Rainer Maria, Œuvres poétiques et théâtrales (Paris : Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1997)
      code [RILKE02]
    12. SIMENON Georges, Pédigrée (1948, Gallimard, 1998)
      code [SMNON01]
    13. SINGER Christiane, Histoire d’âme (Albin Michel, 2001)
      code [SINGR01]
    14. WAGAMESE Richard, Les étoiles s’éteignent à l’aube (Zoé, 2016)
      code [WAGAM01]

Discours – Neurosciences

    1. DAMASIO Antonio, Le sentiment même de soi : corps, émotions, conscience (Odile Jacob, 1999)
    2. DAMASIO Antonio, Sentir et savoir : une nouvelle théorie de la conscience (Odile Jacob, 2021)
    3. HARRIS Annaka, Une brève introduction à la conscience (Quanto, 2021)

Discours – Philosophie

    1. BAKEWELL Sarah, Comment vivre ? Une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponse (Albin Michel, 2013)
    2. COCCIA Emanuele, La vie sensible (Payot & Rivages, 2010)
    3. EPICURE, Lettres et maximes (trad. Marcel Conche, PUF, 2009)
    4. FLEURY Cynthia & FENOGLIO Antoine, Ce qui ne peut être volé. Charte du Verstohlen  (Gallimard, 2022)
    5. HUSTON Nancy, L’espèce fabulatrice (Actes Sud, 2008)
    6. HUXLEY Aldous, Les portes de la perception (10-18, 1954)
    7. KANT Immanuel, Qu’est-ce que les lumières ? (Was ist Aufklärung ?, Flammarion, 2020)
    8. NEIMAN Susan, Eloge de l’âge adulte à une époque qui nous infantilise (Premier Parallèle, 2021)
    9. PENA-RUIZ Henri, Grandes légendes de la pensée (Flammarion, 2005)
    10. REVEL Jean-François, Pourquoi des philosophes (Jean-Jacques Pauvert, 1957)
    11. SPINOZA Baruch, Traité de la réforme de l’entendement (1677, Flammarion, 2003)

Discours – Psychologie

    1. BOON Suzette et al., Gérer la dissociation d’origine traumatique ; exercices pratiques pour patients et thérapeutes (De Boeck, 2017)
    2. DIEL Paul, Psychologie de la motivation (PUF, 1947)
      code [DIEL-01]
    3. VANEIGEM Raoul, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations (Gallimard, 1967)
    4. VARTZBED Éric, Quelques considérations cliniques sur la folie de Nietzsche (in Psychothérapies, 2005/1, Vol. 25, p. 21-27)

Discours – Sociologie

Dispositifs – Systèmes

wallonica.org

Glossaire

Ce glossaire détaillé reprendra les différents termes employés, qu’ils soient originaux ou utilisés dans des ouvrages cités en référence.

      • Accusation : chez Paul Diel, …
      • culpabilité
      • komboloï
      • motivation
      • sentimentalité
      • vanité
      • wallonica.org

Médiathèque raisonnée

On trouvera ici une liste commentée des images, tableaux, photos, films, sites ou événements marquants, susceptibles d’illustrer le propos (hyperliens).

Artefacts – Arts visuels

    1. GAUGUIN Paul, Vision après le sermon (Edimbourg, 1888)
    2. GRANDVILLE Jacques, Le jongleur de mondes (Anvers, 1844)
    3. DORE Gustave, Dante et Virgile dans le neuvième cercle de l’Enfer (Bourg-en-Bresse, 1861)

Galerie des portraits (parce que c’était eux, parce que c’était moi…)

Pour compléter les ressources, une liste commentée recense les penseurs évoqués dans le livre. La notice permet d’identifier pourquoi l’auteur a été cité ou analysé et dans quelle mesure il a inspiré le propos tenu, sans impliquer une lecture de ses Œuvres complètes

D’abord, les sept mercenaires, classés par chronologie de leur naissance, quelle que soit leur époque d’influence…

      1. Laô Tseu
      2. Épicure
      3. Michel de Montaigne
      4. Baruch Spinoza
      5. Friedrich Nietzsche
      6. Ernst Cassirer

Et puis, quelques autres :

      • HUSTON Nancy
      • KANT Immanuel
      • LEVINAS Emmanuel
      • ONFRAY Michel